Grand-Père Maurice, personnage cocasse, l’œil rieur et malin, béret sur le crâne et fines lunettes sur le nez, veille sur la maison et les flots autour. Son portrait est accroché au mur, le long d’un petit escalier qui mène à la terrasse perchée au-dessus de la baie.
Grand-père Maurice dont on retrouve une autre photo, endimanché et entouré de sa famille, un jour de bain de mer au plat Gousset à Granville, fut celui qui eut le premier cette idée originale de construire à cet endroit cette maison pas comme les autres. Elle fut l’une des toutes premières. c’était dans les années 20 et la bâtisse à colombages sortait de terre le long du sentier de Sol Roc qu’empruntent les jours de grande marée à Champeaux les passionnés de pêche à pied.
C’est ici, au-dessus de la falaise qui domine la baie, que se trouve, dit-on, entre Carolles et Saint-Jean-le-Thomas, « le plus beau kilomètres de France« . Sur le roc, la maison de grand-père Maurice n’a pas son pareil. Elle est unique, incroyablement située, on dirait un balcon sur l’eau, perchée au-dessus des nuages avec en perspective juste en face le Mont Saint-Michel et Tombelaine, au-delà des bancs d’hermelles et des anciennes pêcheries.
Francoise Ameline, 82 ans, et son mari Christian, récemment décédé, ont hérité de la maison familiale dont aujourd’hui leurs trois enfants sont les propriétaires. Françoise, ancienne visiteuse médicale comme le fut son mari, en a désormais l’usufruit et en a confié depuis le mois de juin la gestion à la « Clef Decamp », une entreprise de location de maisons de vacances et de courts séjours que dirigent à Villedieu-les-Poêles Sébastien Cordon et Jennifer Decamp. Le couple est à la tête d’une quarantaine de gites d’exception.
Françoise Ameline vit aujourd’hui à Granville. Elle a tourné la page de cette histoire familiale dont la maison était l’épicentre. Quand elle y revient de temps en temps, c’est toujours avec un pincement au cœur. Elle y revoit ses années de vie commune avec Christian, le départ de son mari vaincu par la maladie, ses cendres dispersées dans la baie, là où le père de famille avait l’habitude de naviguer et de pêcher. Elle ressort une ancienne photo des tiroirs : on y voit son mari, alors enfant, embarqué dans le bateau du voisin, Henri Laisney, l’ancien maire de Champeaux. Ils avaient alors sauvé de la noyade un touriste allemand emporté par les courants autour de Tombelaine. Des années plus tard, Henri Laisney reçut un courrier les remerciant de ce sauvetage en baie du Mont Saint-Michel. Françoise a conservé une copie de la lettre.
Cette maison dans les nuages, c’est l’histoire d’une vie de famille depuis cinq générations, du grand-père Maurice hier, à Françoise aujourd’hui et ses trois enfants et ses cinq petits-enfants. Un temps, elle dut batailler avec d’autres riverains pour que le Conservatoire du littoral ne s’empare par des terrains autour. La bataille fut gagnée et le terrain qui descend à la mer reste ce qu’en ont fait les propriétaires successifs, planté d’essences de toutes sortes, joliment aménagé. « J’ai vécu vingt ans dans cette bâtisse. Vingt ans de travail à la retaper, vingt ans de rires d’enfants et de retrouvailles familiales.«
Aujourd’hui, l’histoire se prolonge d’une autre manière : la maison devenue un gite accueille désormais les touristes de passage. C’est sa nouvelle jeunesse… comme une seconde vie.
Alain Fergent
Publié le 16/10/2023 sur La Manche Libre